20/02/2017
Maurice

Fourniture d'eau 24/7 : Les raisons d'un flop

Plus de 200 mm de pluie dans une région en l'espace de 24 heures avec la tempête tropicale Carlos. Y a-t-il de quoi se réjouir? Pas vraiment. Selon nombre d'experts, dont Subiraj Sok Appadu, ancien directeur de la station météorologique nationale, une grande partie de cette eau s'est évaporée ou s'est perdue en mer en passant par des ruisseaux souterrains. Ce sont ainsi 100 millions de mètres cubes d'eau qui sont perdus annuellement sans être exploités, selon Prem Saddul, ancien chairman de la Central Water Authority (CWA). "L'approvisionnement de nos réservoirs est assuré jusqu'à la fin de mars", relève pour sa part une source au ministère de l'Énergie et des services publics. Néanmoins, afin d'assurer une bonne gestion de l'eau potable, des régimes de coupures seront "maintenus" jusqu'à nouvel ordre. Autant dire que l'eau 24/7, promesse du ministre Ivan Collendavelloo, ce n'est pas pour demain. Où faisons-nous fausse route ? L'Express de Port-Louis a consulté plusieurs experts.

Selon l'hydrologue Farook Mowlabucus, ex-employé de la Water Resources Unit, le stockage d'eau du pays est inadéquat. Ce problème, soutient-il, a été au centre des discussions des différentes parties engagées sur ce dossier... depuis 1977. Quarante ans plus tard, aucune évolution concrète. Pour lui, il faut que la CWA se réinvente en fonction des données réactualisées car le régime de pluviométrie a changé et la demande a également beaucoup évolué depuis les années 1990, aussi si à l'époque où la construction de barrages supplémentaires avait été recommandée il ne sert aujourd’hui à rien construire de nouveaux barrages alors qu’a final plus de la moitié de cette eau se disperse. Environ 60 % de l'eau potable, de l'aveu même du ministre Ivan Collendavelloo, est perdue en raison des tuyaux défectueux. Des fuites qui prennent des proportions beaucoup plus importantes quand la pression devient plus forte après une période de forte pluviosité. Plusieurs projets sont actuellement menés par la CWA pour remplacer des tuyaux à travers l'île, cependant, Sébastien Martial, hydrogéologue, affiche le scepticisme : "Le problème va au-delà des tuyaux défectueux. Il faut repenser la distribution, revoir les trajets des réservoirs jusqu'au robinet. Ce n'est pas possible de procéder avec la même configuration que celle datant de l'époque des Anglais. J'ai participé à plus de cinq ateliers de travail où, à chaque fois, les mêmes recommandations ont été faites, sauf que, dans la pratique, on bute", regrette-t-il. Pour Farook Mowlabucus, de nouvelles études sont nécessaires afin de revoir le schéma de distribution.

L'accès sans restriction à l'eau restera un mirage tant qu'il n'y aura pas de hausse de tarifs, insiste le ministre Collendavelloo. Sébastien Martial et Farook Mowlabucus sont également d'avis qu'une hausse des prix permettra une meilleure gestion ; toutefois, il faudra une réelle volonté politique pour cette mesure impopulaire. Selon les relevés de Statistics Mauritius, la quantité d'eau potable distribuée aux consommateurs piétine depuis plusieurs années déjà à en moyenne 97 millions de mètres cubes par an (moyenne sur 2009-2015), alors que la production a augmenté durant la même période, entre 203 et 254 millions de mètres cubes. Ce chiffre interpelle Farook Mowlabucus : "La distribution aurait dû augmenter annuellement avec notamment le nombre grandissant de touristes", fait-il valoir. Selon un ancien responsable de la CWA le fait que cette distribution stagne démontre que l'organisme "ne progresse pas et peine à satisfaire la demande des consommateurs". Un avis que l'on ne partage pas au ministère de l'Énergie et des services publics : "La consommation de l'eau s'est stabilisée ces dernières années", soutient une source au sein de ce ministère, s’appuyant sur le fait que la population de Maurice n’augmente pas comme avant. Qui plus est, la demande des industries telles que le textile ou encore la canne à sucre, jadis de gros consommateurs d'eau, aurait nettement diminué. Toujours selon cette même source, le touriste serait sans incidence sur la demande car plusieurs hôtels disposent de leur propre station de traitement afin de ne pas dépendre du réseau de la CWA. Subiraj Sok Appadu cite l'exemple de Port-Louis : le surplus d'eau dans la capitale passe à travers des canaux tels que la montagne des Signaux, Tranquebar ou encore Vallée-Pitot pour se retrouver en mer. "Il n'y a pas de stockage d'eau. Nous aurions pu construire des châteaux d'eau. Ce n'est pas simple d'en construire, mais chacun peut conserver environ 10 000 litres d'eau. Ce genre d'infrastructures pourra empêcher les inondations." En réalité, note Subiraj Sok Appadu, Maurice a calqué son développement sur celui d'autres pays, plus grands et disposant de davantage de ressources. "Nous avons dépensé beaucoup d'argent en termes de développement mais peu d'études approfondies sur la gestion de l'eau. Comme le disait sir Gaëtan Duval, nous avons des 'tireurs de plan' et pas suffisamment d'architectes."

Manisha Deena, L'Express (Port-Louis) – AllAfrica